L'ineffable RICK MILLER, multi-instrumentiste prolixe d’origine canadienne, poursuit presque à l'abri des regards depuis deux décennies, son œuvre d'introspection dans l'univers rock progressif éthéré et les envolées néo-prog symphoniques. En toute discrétion, quand arrive dans les bacs le 4 avril, son dernier projet Perspective. Eh bim ! Même pas vu ! Pas entendu ! Si l’on ne me l'avait pas soufflé… Son 22ᵉ album. Il succède à “One of the Many”, sorti en mars 2024. Le Canadien sort son premier projet éponyme en 1983 et c’est surtout aux alentours des années 2000 que sa production devient plus régulière et gagne en notoriété dans le monde du rock progressif. Depuis 2003, il enchaîne presque chaque année: “Dreamtigers”, “Angel of My Soul”, “Heart of Darkness”, “Belief in the Machine”, etc.… Et “Perspective” en 2025. Ce dernier n'en demeure pas moins dans la continuité de son œuvre, explorant des thèmes tels que la spiritualité, le destin et les vies parallèles ; le tout enveloppé dans une ambiance sombre et atmosphérique.

Dès l’entrée du répertoire, les éléments sont balancés. Inattendus au demeurant. Tribaux, avec ces rythmes syncopés qui nous prennent aux tripes dès les premiers instants. La surprise ! Puis soudain émergent, s'entremêlent des allégories de danse guerrière de tribus du fin fond de l’Afrique. Aussi éphémères soient-elles, évanescentes, elles se délitent, s'effritent sans crier gare ! RICK va égrener ici et là quelques rythmiques tribales. Comme s'il voulait se rappeler les origines ancestrales. “False Prophets” est un doigt accusateur, un cri lancé aux fausses illusions, comme une liturgie prophétique.

Un ton ostentatoire, mystique, le long de l’opus. Cela ne l’empêche pas de garder son empreinte floydienne. Elle en demeure son effigie, sa dorsale, son fil rouge. “Path” semble tracer ce sillon, ce parcours sinueux comme la mélancolie vers un ailleurs sans nom. Et chaque style concomitant — folk, rock, néo-classique — s'entremêle autour de cette empreinte atmosphérique, sombre et ténébreuse. Rick y ajoute quelques lignes harmoniques acoustiques, éthérées, où s’incruste la six-cordes ciselée, déchirant l’ambiance, et pleure à la façon GILMOUR. La flûte, le hautbois, le violon, le violoncelle viennent enrichir la fresque sonore aux diaprés chancelants. Les nappes synthétiques, les arrangements progressifs aériens, clairs et obscurs, me susurrent à l’ouïe les embruns “The Alan Parsons Project”. S'immisce la voix de Rick, toujours feutrée, douce, planante… s’insinue dans les interstices du son, comme une pensée qu’on aurait oubliée.

Si l’ensemble des titres se révèle fort attrayant, certains, comme “My Avalon”, ont en plus éveillé mon imaginaire : l’île mystique du roi Arthur, la Dame du Lac, la fée Morgane… associés à des effluves cinématographiques, des nappes de claviers, une flûte aérienne où s’entrecroisent des lignes de guitare mélancolique. La légende du roi Arthur est là, devant mes yeux. Elle renaît. Exalté par la concomitance des compositions de Rick et des références littéraires, mon intérêt se porte tout particulièrement sur “The Prisoner of Uqbar” — sans doute un écho à l’univers de BORGES — qui brouille les pistes, floute les repères entre réel et fiction.

Un songe sonore unissant MILLER à BORGES, où la verve méditative vous embarque vers les chemins qui bifurquent… un voyage intérieur guidé par les brumes musicales.