Les années que nous venons de vivre ont forcé de nombreux artistes à se réinventer. Cependant, ce n’est pas d’hier que les créateurs musicaux explorent de nouveaux horizons et changent leurs styles, leurs façons d’écrire et de jouer. Pensez au fascinant et mouvant parcours de DAVID BOWIE ! L’échange de fichiers musicaux via Internet est un autre exemple qui vient en tête et dont les implications et les résultats continuent de produire des résultats. Pour le groupe italien KARMAMOI, on peut dire que le changement fait partie intégrale de son histoire. La parution du sixième album, « Strings from the Edge of Sound » s’inscrit tout à fait dans cette logique.

C’est en 2008 que KARMAMOI investit la scène musicale progressive. Trois ans plus tard, un premier album éponyme chanté en italien est offert aux amateurs. Il est suivi d’un EP, aussi en italien, l’année suivante. 2013 marque un changement majeur dans la façon d’écrire mais aussi dans le chant, toujours féminin, mais en anglais maintenant. Ce nouveau son est remarqué et vaut au groupe d’être invité à faire la première partie de CURVED AIR et LIFESIGNS en Angleterre. À la suite des multiples changements dans la formation, il faut attendre deux ans pour que paraisse « Silence Bewteen Sounds ». Le chant est alors toujours féminin mais partagé par plusieurs invitées. Cette relative turbulence profite au groupe qui se voit reconnaître par plusieurs médias spécialisés. L’année 2018 est importante pour KARMAMOI. En effet, la sortie de « The Day is Done » est un autre pas en avant musicalement parlant. Comme il se doit, les changements sont au rendez-vous avec cette fois, une seule chanteuse, deux musiciens réguliers et plusieurs invités. En plus du succès de l’album auprès des amateurs et des chroniqueurs, le groupe participe au festival Winter’s End. En 2019, le groupe profite de cette lancée et participe au célèbre Rosfest, notamment. L’album de la pandémie, la réinvention pour tous, paraît en 2021. C’est « Room 101 » qui marque le retour dans l’alignement régulier du bassiste original ALESSANDRO CEFALI, invité sur l’album précédent.

Comme il se doit, KARMAMOI nourrit et embrasse le changement avec cet excellent « Strings from the Edge of Sound ». Le chant n’est plus conjugué au féminin puisque c’est VALERIO SGARGI qui se charge de porter le message des chansons du groupe. Il avait fait une brève apparition sur une des pièces de « The Day is Done » en tant que rappeur. Blague à part ! ALEX MASSARI est toujours le guitariste du groupe et ce, depuis « Odd Trip » et le quatrième membre du groupe est le fondateur, batteur et claviériste, DANIELE GIOVANNONI. L’autre changement est musical. En effet, le groupe a sélectionné cinq morceaux de son répertoire et les a transformés via de nouveaux arrangements comprenant notamment l’utilisation d’un orchestre. D’emblée, il faut souligner le souffle puissant qui anime cet album et qui fait de l’expérience d’écoute un formidable plaisir. L’intégration des arrangements orchestraux, la réinterprétation des morceaux, le chant de VALERIO SGARGI et quatre nouveaux morceaux font en sorte que nous avons réellement l’impression d’entendre un tout nouvel album avec des accents familiers, comme il se doit.

L’envoûtement de cet album immersif débute par un nouveau morceau, « Black Hole Era ». Une pièce pleine d’atmosphère. Elle est plutôt calme dans les cinq premières minutes mais clairement enrichie par les orchestrations. Quand ALEX MASSARI prend les commandes et nous offre un solo de guitare qui propulse le morceau plus haut et plus loin, on se dit que cette nouvelle formule est tout à fait au point. Le morceau suivant provient de « Silence Between Sounds » et offre une agréable combinaison de tendresse, de mystères et de moments jazzés avec toujours ce beau son ample. Cette fois encore, la conclusion est emmenée par M. MASSARI mais son solo est plus aérien, plus délicatement ciselé. « Take Me Home » est une franche réussite réinventée à partir d’un morceau paru sur « The Day is Done ». Le ton mélancolique qui se dégage du morceau nous transporte plus près de la mer Baltique que de la Méditerranée. Néanmoins, le résultat est fort plaisant, proche de ce que NORDAGUST ou GAZPACHO pourrait offrir. À compter de la cinquième minute, la montée avec chœur et orchestre est superbe, presque wagnérienne. Une conclusion en finesse permet de reprendre notre souffle.

On poursuit notre découverte avec « Tell Me », une nouvelle pièce. Les premières minutes mettent en valeur le chant de VALERIO SGARGI et les orchestrations. C’est beau et atmosphérique. Lorsque la rythmique se joint à l’orchestre, le son devient un peu voluptueux, langoureux. Doucement, le son s’apaise. Une guitare sèche accompagne le piano et les cordes jusqu’à une explosion de guitare électrique avec un solo lent, majestueux et imparable d’ALEX MASSARI. Les interventions du musicien sont d’une importance capitale et tout à fait au point. La pièce titre de l’album précédent, « Room 101 », continue dans cette lancée où l’orchestre ajoute une profondeur et des touches, violon et violoncelle en évidence, qui transforme et magnifie le morceau. Sur celui-ci aussi, l’ambiance l’emporte sur la performance. Ceci n’exclut en rien la musicalité et la qualité. « I Will Come in your Dreams », une nouveauté, nous replonge un peu dans la mélancolie à la scandinave. Un fort joli morceau caractérisé par le duo piano/voix puis par une puissante montée symphonique pour se conclure avec la voix touchante à souhait de VALERIO. Je souligne que son chant en anglais n’est pas teinté par un accent trop prononcé comme il arrive quelquefois aux groupes italiens qui n’utilisent pas la langue maternelle.

“Your Name” est une relecture d’un morceau de « The Day is Done ». La présence de l’orchestre est particulièrement en évidence sur ce morceau qui me fait penser un peu à du TEARS FOR FEARS. Le son est particulièrement touffu. À mi-chemin, après une puissante envolée, le piano, suivi de la basse, puis de la voix offre un beau moment qui devient franchement magnifique avec l’ajout du violon. Le chant de VALERIO se fait poignant. La rythmique et la guitare électrique ajoutent à l’intensité de la musique. Sur un tempo en douceur ALEX MASSARI démontre les qualités de son jeu. C’est superbe ! « Zealous Man », le plus long morceau provient aussi de l’album précédent. Une fois encore, KARMAMOI sait nous séduire avec un morceau plein d’atmosphères, tantôt calmes, ailleurs intenses et puissantes. À mi-parcours nous avons aussi droit à un irrésistible solo de guitare. Mais, ce ne sera pas le seul puisqu’il récidive avec force et précision dans la montée finale qui débute avec l’orchestre à compter de la neuvième minute. La fin du morceau est toute en puissance. Un court nouveau morceau termine l’album en douceur, voix, claviers, orchestration, avec, notamment cette suave phrase, ‘Nous devons voyager comme les gars d’HAWKWIND’. Intéressant et intriguant !

Je dis bravo à cette étape de la démarche artistique de KARMAMOI. « Strings from the Edge of Sound » est un excellent album qui peut constituer un très bon point de départ pour ceux qui ne connaissent pas la musique du groupe. Il est tout aussi recommandable à ceux qui aiment et suivent déjà KARMAMOI. Un jalon important pour les quatre musiciens et pour l’année progressive en cours.