Il faut avoir de bonnes raisons pour aller au-delà du rôle qu’on occupe en tant que leader et principal compositeur d’un groupe actif, bien établi et doté d’une bonne réputation. Il faut être motivé pour faire paraître un premier album solo basé sur la collaboration avec d’autres compositeurs. C’est ce que le chanteur et claviériste de LEPROUS a choisi de faire deux ans après l’excellent dernier opus du groupe, Aphelion ». À l’aube de la quarantaine, c’est un album ambitieux et introspectif que nous propose EINAR SOLBERG avec « 16 ».

Pourquoi « 16 » demanderez-vous ? C’est l’âge qui l’a fait basculer dans le monde des adultes. C’est aussi celui associé à ses débuts avec LEPROUS. On peut comprendre la motivation d’exprimer qui l’on est, ce qu’on ressent et où on est rendu alors que notre univers musical, et même plus, est enchâssé dans un groupe, aussi bon soit-il. Si la teneur musicale est bien celle d’EINAR SOLBERG, le résultat est le fruit de la collaboration. Que celle-ci soit au niveau de la composition ou de la présence de nombreuses personnes qui ont apporté talents et instruments, il est clair que « 16 » n’est pas un album de LEPROUS. Bien entendu, l’instrument extraordinaire qu’est la voix et le fausset d’EINAR constituent un point de repère immédiat pour les auditeurs mais aussi une raison pour découvrir et aimer ces onze pièces. Tout le monde sait que sa voix est l'une des plus accomplies et une des meilleures du métal progressif et, pour plusieurs, du prog en général. Cependant, avec l’aide de nombreux musiciens et partenaires compositeurs il a su créer une proposition musicale assez radicalement différente bien que portant clairement sa marque. Bien sûr, les plus récents albums de LEPROUS avaient apporté des variations importantes sur le son et la puissance brute des premiers efforts. En ce sens, « 16 » s’inscrit dans une continuité pour le musicien.

La musique que propose notre homme couvre un large spectre d’influences. De manière générale, elle possède un souffle que l’on pourrait qualifier de cinématographique. Que ce soit par son ampleur et une certaine grandiloquence ou même par son caractère intimiste. Ce dernier point est comme une confession soufflée à l’oreille dans une demi-pénombre devant une caméra discrète. Écoutez la douceur et la beauté de la pièce titre pour vous en convaincre. La voix d’EINAR et le violoncelle de RAPHAEL WEINROTH-BROWNE créent cet espace intime entre vous et eux. Plusieurs morceaux portent une influence pop assez évidente et, ma foi bien foutue, tel « A Beautiful Life » ou « Metacognitive » avec sa touche électro. « Home », dans le même style, avec un BEN LEVIN (BENT KNEE) en rappeur, n’atteint pas la cible au même endroit. La collaboration entre les deux musiciens m’apparaît plus fructueuse sur « Grotto », plus rock, ou sur « Over the Top », à la fois intime et grandiose et tout simplement une ode à la belle musique. On retrouve aussi certaines influences progressives dans l’aspect pop comme sur « Remember Me » où une touche électro, la voix incroyable de M. SOLBERG, les cordes et une finale typique de son groupe offrent un des meilleurs morceaux du disque. Cette touche prog sert magnifiquement « Where All the Twigs Broke », en duo avec sa sœur STAR OF ASH, dont l’atmosphère rivalise avec la musicalité. Quelle voix ! Ses inflexions sur les parties les plus calmes des morceaux attirent l'auditeur dans ces lieux musicaux intimes dont je parlais précédemment puis lorsque la musique explose, sa voix est incroyablement puissante et présente. On pourrait penser que, « Splitting the Soul », avec un tel titre et une collaboration avec IHSAHN produirait un effet métallique. Certes, on passe six minutes de qualité avec une guitare assez costaude et même un peu de growl mais nous sommes quand même loin de « Dissasembled ». Écoutez les deux et vous serez à même de comprendre.

L’album se termine sur le plus long morceau composé avec TOTI GUÐNASON (AGENT FRESCO). Il s’agit du point culminant de l’album, tant au niveau musical qu’à celui des paroles inspirées par la période formatrice, en bien et en mal, qu’est le passage qui nous transforme en adulte. Comment ne pas ressentir les émotions qu’il évoque et cette admission de l’échec dans ce qu’il chante : Je verrouille la porte. Je ne peux pas gagner cette guerre. Je quitte cette prison de culpabilité. Détruisant ce que nous avons construit. La fin abrupte qui suit une irrésistible montée en crescendo menée par sa voix unique et une musique survitaminée grâce aux cordes, aux cuivres et à un chœur vous laissera … sans voix. Même si « 16 » ne propose pas de guitares rageuses ou d’envolées métalliques, il recèle une intensité réelle que l’on peut ressentir. Celle-ci se matérialise tant par son aspect libérateur pour EINAR SOLBERG que par son empreinte vocale appuyée et mise en valeur par des orchestrations et des approches musicales variées, impossible de ne pas être repus après son écoute.