Le monde ombrageux, étonnant et maudit du rock progressif ne cesse de nous étonner, surtout quand on s'y attend le moins, arrivant du coin de la rue, sans crier gare, avec un nouveau rebondissement, une promesse d'aventure exaltée. NIKITAS KISSONAS était également membre de Verbal Delerium, un musicien très doué du pays hellénique que nous appelons la Grèce, et offrant une belle série d'albums disponibles, celui-ci étant le quatrième. Il a sorti The Fall of Bliss (2011) et Suiciety (2015), ayant reçu les grands honneurs de ma plume, mais j'ai en quelque sorte raté Topos (2018). Et maintenant vient cette tranche intrigante, et j'ose dire, expérimentale de matériel héroïque, un volet prog qui se lie à la musique grecque traditionnelle dans un mélange unique de vignettes, repoussant les limites qui étonneront sûrement de nombreux fans avec de sons innovateurs. Il s'agit entièrement d'un one-man-show, une vitrine pour un musicien créatif avec une vision et un cœur.

Après une ouverture chaotique parsemée de flux et de reflux, des sonorités dissonantes, voire des incantations de monastère qui séduisent et étonnent, « Starting Anew » fait peau neuve, armée d’un synthé bourdonnant comme une guêpe, poursuivie par des claquements de mains grecs traditionnels. Puis NIKITAS introduit une mélodie folklorique, qui se transforme en une section des plus théâtrales, menée par une guitare basse qui se situe quelque part entre Talking Heads et Sophocle, multipliant des acrobaties vocales à la limite de l'étrangeté (ou de l'odyssée). La voix aiguë excentrique de « You Want to Know » mène dans un pays imaginaire pour les enfants, comme s'ils assistaient à un concours de comptines de maternelle, tandis que le fantomatique « A Farewell Kiss » est une diatribe linéaire inquiétante où le frisson désespéré de NIKITAS inspire une sorte de malaise frôlant l’élucubration, un instrumentalisme clairsemé soulignant la partie mentale, faisant écho et beuglant comme un marin à la recherche désespérée de la Toison d'or. C'est périlleusement bizarre.

« Eff it, let's dance » lâche-t-il de manière inattendue, l'ambiance vire à une curiosité disco éclaboussant qui s'élève au fur et à mesure que l’on traverse les différents étages menant au toit de la psychose (voilà un joli mot grec pour vous), contournant toutes les salons de tentations matérielles que la vie moderne puisse offrir et pour finalement aboutir au sous-sol pour une autre chevauchée souterraine endiablée. Les choses reviennent à la normale (quoi que cela signifie) alors qu'une guitare acoustique navigue habilement parmi le gazouillis des oiseaux et les ruisseaux sonores, ébauchant une section folklorique hellénique distincte, dégageant cette farouche passion intérieure pour laquelle ils sont si réputés. Le pouls se précipite vers une frénésie plus exaltée, et puis, nous regagnons à un défi technique sur le manche d'une intensité à couper le souffle. « Xopoc » est tout un spectacle, un tour de force agité et provocateur.

Le dernier morceau hallucinant réintègre les sons naturels qui ont commencé ce bref voyage, baignée dans une illusion ensoleillée, une clarinette civilisée en duel avec des tambours à main, des blocs de bois et une hypnose progressive virevoltante avec de généreuses doses de conflit et de dissidence. « Eff it, buvons! » alors que j'agrippe fermement ma bouteille d'ouzo.